Enfants des arbres
Dans les peupliers qui cernent le lac de Behoririka à Antananarivo vit une étrange colonie de gamins d’une dizaine d’années. Contrairement aux enfants de leur âge, les cabanes qu’ils construisent dans les branchages ne sont pas faites pour jouer, mais bel et bien pour survivre. Une colonie arboricole au coeur de la capitale…
Ils vivent là. Dans des arbres autour du lac de Behoririka, le quartier chinois de la capitale de Madagascar. Mais on ne les remarque pas forcément. Pas même les associations d’aide à l’enfance, il faut croire. Moyenne d’âge 13 ans. A peine des adolescents. Fabrice semble être leur chef, à peine plus vieux d’une année ou deux. Plus costaud aussi. « Nous ne sommes pas des tsy manan-kialofana (sans-abri) puisque nous avons ces arbres », fait-il remarquer, pelotonné dans sa redingote sans âge, élimée jusqu’à la corde. Ils n’aiment pas non plus qu’on les appelle « sans domicile fixe » car ils sont logés à la même adresse depuis déjà cinq ans. A la nuit tombée, il n’y a qu’à monter dans les cabanes perdues dans les branchages, sortes de cages à poules constituées de vieux cartons, de sac de riz et de cordes.
« Quand nous sommes arrivés à Behoririka, les 4-mis qui squattaient devant les magasins n’ont pas voulu partager leur espace. Du coup, il a fallu trouver une solution, et c’est là qu’on a vu ces peupliers et qu’on s’est dit que c’était toujours mieux que de dormir sur le trottoir », explique Fabrice. C’est ainsi qu’ils en sont venus à construire leur tranokely (petite maison), nichée à trois ou cinq mètres du sol et à laquelle ils accèdent au moyen d’une corde. Elles ne font pas plus de 1,5m². Impossible de s’y tenir debout et à peine la place de s’y allonger. Quand il pleut, l’imperméabilité n’est pas garantie, même si le feuillage joue son rôle de parapluie. Le froid, n’en parlons pas.
« Nos parents n’avaient plus de travail, et donc plus rien à manger. Il a fallu se débrouiller. C’est comme ça depuis juin 2009 », soupire Fabrice qui partage sa cabane avec Fenitra, son petit frère de 10 ans. La semaine ils vivent autour du lac, mais le weekend ils rentrent chez leurs parents à la périphérie de Tana, histoire de voir comment les choses vont là-bas. « C’est presque mieux ici, en tout cas pour manger », lance Fabrice.
Dans la petite communauté arboricole, il y a des règlements à respecter, notamment en ce qui concerne la sécurité. « On monte la garde à tour de rôle. Un jour c’est moi, l’autre c’est au tour de Momo (un « vieux » comme lui, âgé de 15 ans), et ainsi de suite. Ceux qui partent à la chasse (au travail) apportent de quoi manger à celui qui monte la garde. » Toujours pour raisons de sécurité, le petit clan n’aime pas accepter les nouveaux, surtout quand ils sont inconnus. « On ne veut pas de problèmes. Si on a tenu jusqu’ici, c’est qu’on est discrets, on ne perturbe pas le voisinage, pas de vols aux étalages… » En fait, ces étranges locataires sont surveillés par le fokontany, l’autorité de quartier, même s’ils ne sont pas inscrits sur les listes.
Pour rentrer de l’argent, ils ont leur propre business. Ils vont dans les magasins de Behoririka pour ramasser les cartons qu’ils revendent à un recycleur à raison de 50 ariary le kilo. En une journée, un gamin empoche ses 1 000 ariary, ce qui paye le repas pour toute la journée.
Le divertissement, quand ils ne sont pas aux cartons, c’est de jouer au ballon au bord du lac ou de traîner, aller dans les salles de jeux vidéos pour faire quelques parties. « J’aurais aimé aller à l’école pour devenir quelqu’un, patron de hi-tech ou chef cuisinier. Quoique la rue c’est aussi une école », considère Fabrice, sourire figé. Fenitra, lui, rêve de devenir pilote d’avion de chasse. « J’ai vu ça dans un film, comment ils slaloment dans le ciel en toute liberté… » Comme quoi, même perdus dans les arbres, tous les rêves d’enfants se ressemblent.
(propos relevés par Solofo Ranaivo – Les enfants des arbres – nocomment® N°52, 2013)